La Fournaise

La Fournaise

NENENE

NENENE

Nénène, une femme de mérite.

Devant ce trou béant au fond duquel reposait ton cercueil, défilaient tous ceux qui étaient venus t'accompagner à ta dernière demeure; les uns laissaient tomber une poignée de terre, d'autres quelques fleurs prises à une gerbe. Des gerbes, il y en avait beaucoup qui attendaient que ta tombe soit refermée pour la couvrir de leurs fleurs de toutes les couleurs. Adossé à une tombe, les bras croisés, j'avais du mal à contenir mon émotion.

C'était pourtant un enterrement comme tant d'autres, dans ce petit cimetière situé au bout du village. Pour nous, qui étions là, debout, à écouter une dernière prière que récitait, la voix tremblante d'émotion, ta petite fille – celle qui a toujours vécu à tes côtés – ce n'était pas un enterrement comme les autres. Il faut dire que tu n'étais pas, toi non plus, une Nénène comme les autres. De ton prénom Vivienne, tu étais devenue Nénène pour tout le quartier. Alors, est-ce bien nécessaire que je te présente?

Ta modestie, d'outre-tombe, dut-elle en souffrir, je voudrais quand même, en quelques lignes, rendre un dernier hommage à la femme exemplaire que tu étais. Les éloges funèbres, tu sais Nénène, ce n'est pas mon truc. Je ne vais pas écrire un long discours que personne peut-être ne lira. En réalité, si j'écris ces quelques lignes, c'est peut-être aussi pour me racheter. Je m'en veux d'avoir été négligent, au point de n'être pas venu te voir aussi souvent que tu l'aurais souhaité.

Cet après-midi là, je m'étais enfin décidé à te rendre visite, dans la petite « case Tomi » que tu avais fait construire, à proximité de nos parents. A quatre vingt dix ans, tu avais déjà du mal à marcher mais tu t'étais quand même levée pour m'accueillir. En me voyant entrer, tu t'étais exclamé: « Mon Zenfant, Nénène lé content voir à ou » (Mon enfant, Nénène est contente de te voir).

            Pendant près de trois heures, tu as feuilleté sous mes yeux – façon de parler – le livre de ta vie; un livre vieux de quatre vingt dix ans peut-être, mais tellement bien conservé. Je ne pouvais pas savoir que cette longue conversation n'était que l'épilogue du roman de ta vie. Nous avons parlé, ce jour là, de tes parents, de la misérable case dans laquelle tu avais grandi, de tous ces gens qui avaient, pour la plupart, rejoint «L'Autre Monde ». Beaucoup de ces gens n'avaient pas été tendres avec toi mais, depuis longtemps déjà, tu leur avais pardonné les humiliations, les brimades. N'empêche qu'ils ont du faire une drôle de tête en te voyant arriver, parée de tes plus beaux vêtements; toi, la petite «Cendrillon» qu'ils avaient traitée avec tant de mépris.

            La fin de ta vie aura quand même été plus douce. Il n'y a pas que des ingrats sur cette foutue planète… Grâce à ton club de troisième âge, tu ne seras pas morte sans jamais être montée dans un avion. C'était il y a tout juste quelques mois, tu étais revenue de Madagascar – de Fort Dauphin, je crois – la tête pleine de merveilleux souvenirs. Il n'empêche que ton cœur avait saigné, m'as-tu dit, devant tant de misère. Ce qui t'avait le plus bouleversée ce fut le spectacle des plus petits, se bousculant autour du car, pour une poignée de bonbons. Tu as regretté ce jour là de ne pas avoir rempli ton sac de gâteaux et de sucreries. Sans vouloir travestir ta pensée, j'ai cru comprendre que ces pauvres gosses avaient, bien involontairement, ravivé les souvenirs de ta malheureuse enfance; des souvenirs vieux de quatre vingt ans.

Tu aurais quand même pu m'avertir de ton départ Nénène; j'avais encore tellement de questions à te poser. Ce n'est que partie remise; lorsque j'aurais effectué à mon tour, la traversée du miroir – c'est bien comme çà qu'on dit Monsieur Cocteau ? – comme dans Orphée, tu me raconteras la suite. En attendant, tu nous a bel et bien quittés ce mercredi 3 octobre, entourés de tous tes enfants et petits enfants; les tiens et tous ceux que tu as élevés. Il ne manquait personne ou presque à l'appel, lorsque ton cercueil a franchi la porte de l'église le lendemain, vers les quatre heures de l'après-midi.

Que dire de plus? Un mot, peut-être, un seul mot: Merci!

 



11/10/2007
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