La Fournaise

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LA PETITE HISTOIRE DE JO LE PENDU

LA  PETITE HISTOIRE DE JO LE PENDU

              Jo avait fréquenté l’école jusqu’au cours moyen 2 et rêvait, comme beaucoup de ses petits camarades, de devenir fonctionnaire. S’il n’y avait eu cette maudite épreuve d’orthographe pour laquelle il avait obtenu un zéro pointé, il aurait pu obtenir son certificat d’études et devenir facteur ou préposé des douanes. C’est à partir de cet échec, diagnostiqueraient aujourd’hui nos psychologues, qu’il avait commencé à se replier sur lui-même. En réalité, la mort de sa mère intervenue alors qu’il avait tout juste dix ans suffisait, à elle seule, à expliquer son comportement.  

A l’âge où beaucoup de jeunes poursuivaient leurs études, Jo aidait son père à cultiver une parcelle de terrain, qu’un riche propriétaire lui avait donnée en colonage. La culture du géranium leur permettait de vivre sans rien devoir à personne, jusqu’au décès du père, survenu alors que Jo venait tout juste d’atteindre sa majorité. Désormais seul, dans la modeste maison que lui avaient laissée ses parents, Jo n’avait plus pour lui tenir compagnie  que son chien Félicien et ses deux chats. Pour un peu, j’allais oublier Caroline, une vache qu’il avait appelée ainsi en souvenir d’une petite voisine, perdue de vue depuis longtemps déjà. Le jeune homme n’avait pour distraction que la messe du dimanche à laquelle il assistait régulièrement et ne s’attardait jamais après l’office, de peur de devoir répondre aux questions des uns et des autres.

Les années avaient passé et Jo venait de fêter ses trente ans. Caroline, avait été emportée par le fameux cyclone de 1948 et Jo  s’était  péniblement remis de cette perte qui le privait, outre un complément de revenus, d’une présence à laquelle il s’était habitué. Les jeunes filles du village ne le laissaient pas indifférents mais il ne voulait toujours pas s’encombrer d’une épouse, ainsi qu’il l’avait sèchement répondu à monsieur le curé. Ce denier, touché par la solitude et la tristesse de son jeune et fidèle paroissien, l’avait retenu un dimanche après la messe et, sur un ton badin, lui avait demandé s’il n’avait jamais songé à prendre femme, devant Dieu et devant l’église, cela va de soi. La réponse, formulée en ces termes, avait choqué le vieux curé, peu habitué à de tels écarts de  langage.

            A peu de distance de sa maison Jo avait planté un manguier qui lui procurait à défaut de fruits, un espace ombragé très appréciable pendant les fortes chaleurs. Cet arbre, Jo restait parfois de longues minutes à l’observer, sans qu’on sache vraiment à quoi il pensait. A voir ses lèvres qui remuaient, on aurait pu imaginer qu’il parlait à son manguier. Peut-être lui reprochait-il sa stérilité, à la manière de certains hommes dont l’épouse ne peut avoir d’enfants.

Ces dernières semaines, le visage de Jo s’était davantage assombri et ses sorties se faisaient de plus en plus rares. Dans le voisinage, les supputations allaient bon train ; il en était ainsi dans tous les villages, à une époque où les concierges dans les grandes villes de Métropole n’avaient pas encore l’exclusivité des commérages. En réalité, Jo couvait quelque chose, sans qu’on puisse en connaître les raisons. Il ne pouvait s’agir d’une mauvaise grippe, vu que cette dernière n’était pas de saison. Les événements n’allaient pas tarder à donner à ce petit monde de curieux, un semblant d’explication.

            Ce matin là, après avoir fait le tour de sa maison, Jo avait repéré une corde qui trainait quelque part au fond de sa cour. La corde, celle là même qui avait servi de laisse à  Caroline au temps où elle vivait encore, avait été malmenée par les intempéries mais, pour ce à quoi Jo la destinait, les traces d’humidité qui l’entachaient, étaient sans conséquences. C’est du moins ce qu’il imaginait…

            Jo n’avait pas fait son service militaire dans la marine ; à vrai dire, il ne l’avait jamais fait. Ce handicap ne l’avait  pas empêché de réussir un nœud coulant qui aurait fait pâlir de jalousie le plus habile des marins. Comme partout ailleurs, le soleil se couche beaucoup plus tard pendant les mois d’été ; à la campagne, en revanche, les gens se couchent beaucoup plus tôt, par manque de distractions. Jo avait attendu la tombée de la nuit pour mener à bien son funeste projet.

Au fond de sa cour, Jo avait récupéré un vieux fût rouillé qu’il utilisait en période cyclonique pour en faire sa réserve d’eau. Perché sur cet escabeau de fortune,  il avait attaché l’extrémité de la corde à la branche du manguier qui lui paraissait la plus solide. Il avait maintenant la corde autour du cou et se recueillait une dernière fois après avoir laissé tomber à ses pieds, le vieux feutre qui ne l’avait pratiquement jamais quitté. Il avait suffi ensuite d’une talonnade pour renverser le fût qui avait roulé jusque contre la clôture du voisin, tandis qu’au même moment, la corde s’était cassée. Lorsque, Jo s’était retrouvé par terre, le cul sur une grosse pierre qui se trouvait juste sou le manguier, il avait très vite réalisé qu’il n’était pas au paradis. Ses cris de douleur avaient réveillé le voisinage accouru qui une bougie qui une lampe à la main. Ils avaient trouvé Jo, grimaçant et tournant autour de sa maison, en se tenant le postérieur à deux mains. Il n’y avait dans le village, ni médecin ni infirmier et Jo avait du patienter jusqu’au  lendemain pour se faire conduire à l’hôpital où les médecins avaient diagnostiqué une fracture du coccyx.

Si l’aventure survenue à  Jo avait ému les âmes les plus sensibles, beaucoup au village se sont longtemps moqués et le surnom de « Jo le pendu » ne l’avait plus quitté depis. De son côté, Jo était sorti transformé de cette aventure qui aurait pu lui être fatale. Petit à petit, il avait repris goût à la vie et découvrait les petits plaisirs à côté desquels il était passé depuis sa prime jeunesse. Les interrogations du vieux curé lui revenaient en mémoire et c’est ainsi que, pour de bon cette fois, il se mettait la corde au cou en épousant une jeune femme du village, veuve depuis  cinq ans à peine.

La petite histoire de Jo le pendu ne nous dit pas s'ils furent heureux et eurent beaucoup d'enfants.


19/05/2014
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