La Fournaise

La Fournaise

CREDO Premier Episode

Cette nouvelle s’inscrit dans le droit fil d’Elucubrations. Les faits, comme les personnages, ne sont que le fruit d’une imagination délirante, plus que débordante. Rien de sensationnel dans ces écrits sans prétention. Ce: « Je crois » c’est le cri poussé par un jeune prêtre, longtemps en proie aux incertitudes. Toute ressemblance avec des personnes existantes, ou ayant existé, ne serait que fortuite.

CREDO

Rien ne semblait destiner Bryan à la prêtrise, pas même son prénom. La vieille Nénène, celle là même qui l’avait vu naître, ne cessait de répéter: «Bryan c’est pas un nom de chrétien çà!». C’est probablement la raison pour laquelle le curé avait insisté, afin que le nom de l’apôtre Pierre figure sur le registre des baptêmes avant celui de Bryan. Ce dernier prénom avait été choisi par son parrain, professeur d’anglais au lycée Leconte de Lisle.

Le jeune Bryan avait vu le jour dans une famille créole, originaire des hauts de Saint Denis. La mère, très pieuse, avait une sœur en religion quelque part du côté de Perpignan. Quant au père, il avait toujours rêvé devenir prêtre, jusqu’au jour où il avait rencontré celle qu’il avait épousée. Les parents du jeune garçon priaient régulièrement pour que leur fils puisse entrer au séminaire et se consacrer à ce qu’ils considéraient comme le plus noble des ministères.

Après avoir obtenu son brevet, Bryan avait pris la direction du séminaire, situé dans le cirque de Cilaos, pendant que son frère Edmond, d’un an plus jeune, poursuivait ses études au lycée Leconte de Lisle. Plongé, depuis sa plus tendre enfance, dans le bain de la religion, Bryan ne s’était pas étonné du choix de ses parents. Passées les deux ou trois premières années, plusieurs de ses camarades étaient partis du séminaire; quant à Bryan, il avait tenu le coup autant par conviction que pour ne pas décevoir ses parents.

Après, le baccalauréat, Bryan avait été admis dans un des plus grands séminaires de France. La séparation d’avec sa famille ne s’était pas faite sans un gros chagrin, vite réprimé. Le voyage, qui durait près d’un mois, se faisait à l’époque par bateau. A bord du « Jean Laborde », un de ces paquebots à coque noire qui assurait la liaison entre la Pointe des Galets et Marseille, Bryan avait voyagé en troisième classe, en compagnie de quelques étudiants qui n’avaient pas d’autre moyen de transport pour se rendre en Métropole. L’avion était réservé aux voyageurs les plus aisés ainsi qu’aux parlementaires et fonctionnaires de haut rang.

Après un voyage qui durait près d’un mois, en passant par le canal de Suez, le premier contact avec la Mère Patrie – c’est ainsi que son père parlait toujours de la Métropole – n’avait en rien altéré la foi du jeune homme, plus que jamais décidé à poursuivre le but que lui avaient fixé ses parents. Les mois, puis les années passèrent sans que Bryan ait eu l’occasion, ne serait-ce qu’une seule fois, de les revoir. Ces derniers, de condition modeste, n’auraient jamais eu les moyens de se payer le voyage.

Le jour de son ordination arriva enfin. Bryan aurait aimé que ça se passe à La Réunion, où vivaient tous ceux qu’il aimait le plus au monde, après Dieu. Revêtu de sa belle aube blanche, le jeune diacre était allongé de tout son long, face contre terre, au pied de l’autel et de son évêque les mains étendues au dessus de sa tête. Autour de lui il devinait, plutôt qu’il ne voyait, la présence de quelques vieux curés bedonnants accourus des paroisses voisines.

Sa tante Geneviève, en religion sœur Blanche de la Sainte Face, avait fait le déplacement depuis Perpignan et priait la tête entre ses mains. Bryan ne pouvait la voir mais se l’imaginait ainsi pour l’avoir vu si souvent prier, lorsqu’il était gamin. Bryan s’imaginait aussi son père, assis au premier rang et se raclant la gorge pour ne rien laisser paraître de son émotion tandis que, agenouillée sur le carrelage glacé, sa mère ne se donnait même pas la peine d’essuyer les larmes qui coulaient sur ses joues.

Si Bryan avait pu se relever il aurait vu que ses parents étaient bien là, arrivés avec quelques minutes de retard, après un voyage éprouvant payé grâce à la générosité des quelques paroissiens aisés, qu’ils côtoyaient chaque dimanche dans la petite église de Saint Basile. Perdu dans ses pensées, Bryan faillit ne pas entendre les paroles de l’évêque qui lui demandait de se relever tandis que, du chœur de l’église, montaient les premiers cantiques.

Le jeune prêtre venait de se retourner et découvrait, comme en rêve, la présence de ses Parents, exactement comme il se l’était imaginée. Pour Bryan, leur présence à cette cérémonie avait quelque chose de miraculeux et c’est avec beaucoup de mal qu’il avait pu contenir son émotion et sa gratitude. La cérémonie venait de s’achever et l’heure était maintenant aux retrouvailles. Faisant fi de toute retenue, Bryan se jeta dans les bras de sa mère qu’il manqua de faire tomber à la renverse.

Les parents du jeune prêtre avaient différé leur retour de quelques jours qu’ils passèrent en région parisienne, dans une famille créole originaire, comme eux, des Hauts de l’île. Bryan, qui bénéficiait de quelques jours de vacances, en avait profité pour faire visiter la capitale à ses parents. Ces derniers avaient peine à imaginer que ce fleuve, qui coulait à leurs pieds, à proximité de Notre Dame, était bien la Seine qu’ils avaient, maintes fois, dessinée en classe de cours moyen. Les méandres de couleur bleue qui – sur les cartes de géographie – les avaient, si souvent, fait rêver, n’étaient qu’un cours d’eau désespérément gris.

En cette saison, la place du Trocadéro était noire de monde; les parents de Bryan, très impressionnés, n’avaient pas voulu monter dans aucun des ascenseurs qui attendaient les touristes aux pieds de la tour Eiffel. Comme leur fils, ils souffraient de vertige et n’avaient pas – ne cessaient-ils de répéter – d’argent à gaspiller.

Pour accéder au Sacré-Cœur, il avait bien fallu emprunter le funiculaire. Les parents de Bryan auraient eu beaucoup de mal à grimper les escaliers qui conduisent au Sacré-Cœur. Avant de pénétrer dans la basilique ils s’étaient attardés devant les portraitistes qui, comme tous les jours de la semaine, avaient installé leur chevalet place du Tertre. Bryan aurait bien aimé offrir à ses parents, un souvenir de leur séjour à Paris; pour des raisons financières, il avait du s’abstenir et s’était éloigné en poussant un profond soupir.

Au pied de la butte, dans le quartier de Pigalle, la mère de Bryan avait été intriguée par le manège des jeunes femmes, si court vêtues, qui faisaient les cents pas sur le trottoir. Chez nous, avait-elle dit, d’aussi jolies filles ne se seraient jamais promenées, à une heure aussi tardive, sans être accompagnées de leurs parents. La soirée ne faisait que commencer mais, déjà, les quartiers chauds de Paris connaissaient une certaine animation.

La journée s’était achevée gare de l’Est; Bryan avait pris un ticket pour accompagner ses parents jusque sur le quai. Le train, en partance pour Chelles, affichait une demi- heure de retard en raison d’une grève des cheminots. Bryan en avait profité pour serrer, un peu plus longuement, ses parents dans ses bras. Dieu seul savait s’il les reverrait un jour.

A cette époque, les prêtres, dans notre île, étaient en nombre suffisant. Le jeune Bryan, après avoir été vicaire dans une église de la région parisienne, reçut sa première nomination, en tant que curé, dans un petit village, de l’Est de La France. Cette nomination était intervenue quelques jours après le décès du vieux curé, emporté par une pneumonie. Ce dernier avait tiré sa révérence après plus de dix années passées dans le village. L’arrivée d’un jeune prêtre, originaire d’une si lointaine contrée, inquiétait les paroissiens déjà réticents quand il s’agissait d’aller se confesser, au moment des fêtes de Pâques. Avant de le confier au curé de la paroisse voisine, l’évêque du diocèse s’était répandu en de telles recommandations que Bryan s’était demandé si le ciel n’allait pas lui tomber sur la tête.

Le curé, chargé de présenter Bryan à ses ouailles, était un solide gaillard qui n’avait eu aucun mal à faire taire les appréhensions de son jeune confrère. Après l’avoir fait monter dans sa vieille 4cv, il avait pris la route qui, à la sortie de Nancy, conduisait au village. C’était vraiment un tout petit village comme on en rencontre dans la plupart des régions de France. De la bouse de vache, un peu partout sur le chemin, des tas de fumier dans la cour des fermes et, derrière des clôtures électrifiées, les vaches, indifférentes à la venue du nouveau curé, continuaient, comme si de rien n’était, à tondre l’herbe du pré dans lequel elles étaient parquées. A peine sorti de la voiture, avec pour tout bagage une valise et un sac de voyage, Bryan avait découvert son nouveau domaine. La cure, une maisonnette attenante à l’église, avait encore les volets clos tandis que l’herbe avait envahi le petit bout de jardin où ne poussaient plus que des pissenlits.

Pour sa première messe Bryan avait réussi à remplir la petite église, dépourvue de chauffage, à l’intérieur de laquelle les pigeons avaient fait leurs nids. Un peu crispé, il avait sagement écouté les quelques mots de bienvenue prononcés par son confrère. La cérémonie avait ensuite débuté, dans un profond recueillement. Les paroissiens attendaient avec curiosité la première homélie de ce prêtre venu d’ailleurs. Sans émotion apparente, Bryan monta en chaire – c’est une façon de parler, puisque ces tribunes ont aujourd’hui disparu de la plupart des églises – et s’apprêta à délivrer son premier message. Après s’être rapproché de ses fidèles, pour mieux se faire entendre, le jeune prêtre s’était exprimé avec une telle conviction que même les plus sceptiques avaient été conquis.

Passés les premiers jours, les quelques vieilles bigotes que comptait le village commencèrent à tourner autour de leur tout nouveau curé pour lui proposer leur aide. Dans un premier temps, leur manège avait beaucoup amusé Bryan, peu habitué à être courtisé, par des femmes d’un âge aussi avancé. Au bout de quelques jours, il se rendit compte du danger que cela pouvait représenter dans l’exercice de son ministère. Dans les petits villages, les commérages prennent vite de l’importance et Bryan n’avait pas oublié les recommandations de son évêque.

Bryan n’avait pas oublié qu’il était aussi un citoyen; les semaines qui suivirent, il s’était rendu à la mairie pour se faire inscrire sur les listes électorales. A cette occasion, il avait fait la connaissance du maire, un brave homme qui ne mettait les pieds à l’église que pour les enterrements. Avec la spontanéité qui caractérise les habitants de ces petites communes, le Maire l’avait invité au bistrot du coin pour lui offrir le verre de l’amitié. Parler d’amitié est un peu exagéré dans la mesure où, monsieur le Maire, qui n’avait plus assisté à la messe depuis sa première communion, se méfiait autant des curés que des gendarmes. Ces derniers l’avaient verbalisé récemment au volant de son tracteur, alors qu’il rentrait les foins, après une dure journée.

En ce temps là, les curés portaient encore soutane et l’entrée de Bryan, dans le petit café, avait fait sensation. A l’heure de l’apéritif, nombreux étaient ceux, assis au fon de la salle devant un Picon-Bière. Les plaisanteries ne tardèrent pas à fuser: «Alors Louis, on fricote avec les curés maintenant»? Bryan qui ne buvait pas d’alcool était devenu rouge de confusion et, d’un revers de la main, avait failli renverser son diabolo-menthe. Le maire s’était étonné qu’un curé ne boive pas d’alcool et fit, malicieusement, remarquer à Bryan que le vin de messe c’était aussi de l’alcool. Ce dernier, déconcerté, baissa la tête et n’apporta, pour toute réponse, qu’un timide sourire.

De retour au presbytère, monsieur le curé jeta un coup d’œil dans sa boîte aux lettres désespérément vide depuis son arrivée au village. Il commençait à s’inquiéter, d’autant plus que, à l’occasion de son ordination, sa Mère ne lui avait pas caché que la santé du Père inspirait les plus vives inquiétudes à son entourage. Depuis, Bryan n’avait cessé de prier pour ce Père qui lui avait inculqué les principes religieux, source de sa vocation.

Tandis qu’il réchauffait son repas, il entendit appeler. Un coursier se tenait debout au portail, agitant un petit papier bleu au-dessus de sa tête. Bryan, après avoir lu les deux lignes que contenait le télégramme, tourna les talons et, sans même penser à remercier le petit télégraphiste, se précipita dans sa chambre. A la tête du lit était accroché un crucifix devant lequel Bryan, à genoux et la tête entre les mains, se mit à prier en silence. Les paroles de Jésus de Nazareth, expirant sur la croix, lui revenaient à l’esprit et c’est machinalement qu’il interpella ce Dieu auquel il venait de consacrer sa vie: «Père, pourquoi m’as-tu abandonné»? Ses pensées allèrent ensuite à sa Mère qui se faisait une telle joie, à la pensée de fêter bientôt ses noces d’or. Ce n’était plus qu’une question de mois, mais Dieu n’avait pas voulu lui accorder cette grâce. Bryan, en serviteur fidèle, s’inclinait devant la volonté du Tout Puissant.

La postière n’avait pas voulu garder, pour elle seule, la triste nouvelle et tout le village était maintenant au courant. Monsieur le Maire, imité par quelques uns de ses administrés, était venu frapper à la porte du presbytère pour témoigner, au jeune curé, sa compassion. Les mots étaient d’une grande simplicité mais ils allaient droit au cœur de Bryan qui avait beaucoup de mal à contenir son émotion.

Le dimanche suivant, la messe célébrée à la mémoire de son Père, avait attiré dans la petite église tout ce que le village comptait d’habitants. Tout au fond, la présence de l’instituteur avait étonné plus d’un. Ce dernier, qu’on voyait plus souvent au café, la pipe à la bouche et le journal «L’Humanité » étalé sous les yeux, n’avait jamais caché son anticléricalisme. Mais, devant le malheur qui venait de frapper un habitant du village, il avait tenu à exprimer sa compassion.

A suivre



16/11/2007
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