La Fournaise

ADIEU  ROCKY

ROCKY, à l'époque où il vivait heureux.

Tu avais la mauvaise habitude de te coucher sur le chemin qui passe devant chez nous. Les voisins devaient faire un écart pour ne pas t’écraser avec leur voiture et je disais souvent que tu avais des idées suicidaires. Le samedi après-midi, lorsque tu entendais les cloches de l’église, tu hurlais à la mort, je n’ai jamais compris pourquoi.

Tu n’étais pas ce petit chien querelleur, appelé communément roquet, comme on en rencontre souvent dans nos quartiers. Tu étais la douceur même et, lorsque tu es arrivé chez nous un beau matin, nous n’avons pas été assez lâches, pour te chasser. Pauvre petit chien abandonné, depuis des mois, tu venais de trouver une famille d’accueil.

Quelques jours ont suffi pour que tu te sentes chez toi, entre Chikun et Lara qui t’avaient accepté sans difficulté. Même Praline, notre chatte noire aux grands yeux verts, te gratifiait parfois d’une caresse, en passant près de toi. Lorsque nous avions des visiteurs, ils ne s’offusquaient pas lorsque tu posais délicatement tes petites pattes sur les plis de leur pantalon. Le soir, après le dîner, tu te couchais sur le divan, la tête posée sur mes genoux, tandis que je suivais le journal à la télévision. Tu te fichais bien mal, ces derniers jours encore, des fluctuations de la Bourse, de l’affaire DSK ou du sort de Kadhafi. Tu étais vraiment un petit chien heureux.

Il y a une dizaine de jours, à peine, tu as commencé à souffrir. Peut-être un automobiliste n’a-t-il pu t’éviter complètement, peut-être aussi, as-tu reçu des coups de la part de quelque crétin comme il en existe, un peu partout dans le monde ? Tu as commencé à te plaindre, avant même qu’on se soit approché de toi. En l’espace de quatre ou cinq jours, nous t’avons conduit par deux fois chez un vétérinaire. La deuxième fois, c'est celle qui t’a coûté la vie et c’est bien, ce qui me rend malade.

Je devais partir en randonnée, sur deux jours, avec un petit groupe de parents et d’amis. La veille du départ, je t’ai emmené  chez le vétérinaire, tôt le matin, pour partir rassuré. Le soir, lorsque je t’ai récupéré à la clinique , j’ai compris que quelque chose n’allait pas. Il paraît que tu étais encore sous l'effet de l'anesthésie, à ce que m'a dit l'innocente petite secrétaire. Le vétérinaire, lui, avait déjà quitté les lieux, des fois que... De toute manière, et c'est là l'essentiel, l'encaissement avant livraison de la marchandise ne nécessite pas la présence du Patron.  Je t'ai quand même ramené à la maison, Rocky, en priant pour que tu puisses t'en sortir. 

Pauvre petit Rocky, comment ai-je pu me laisser, ainsi, abuser ? Une nuit entière, tu as hurlé de douleur en te cognant contre les meubles de ma chambre à coucher. La gueule grande ouverte, tu m'as supplié d’abréger tes souffrances tandis que moi, j’étais là, impuissant, me bouchant les oreilles pour ne plus entendre tes hurlements. Ne m’en veux pas Rocky car aujourd’hui, je souffre autant que toi, une souffrance qui dure depuis plus de trois jours et qui n’est pas prête de s’arrêter. La tienne s’est achevée au petit matin, lorsque mes enfants, en larmes eux aussi, ont du se battre pour que tu puisses être euthanasié. Tes bourreaux, étaient prêts à recourir à toutes sortes de combines, pour se faire davantage de fric. Ceux là, je les ai revus, à mon retour et j’ai pu leur crier tout mon mépris, toute ma rage. Leurs subterfuges ne m’ont pas convaincu et je suis reparti le cœur gros.

Tu vois Rocky, Je me fous des trois cents euros que m’ont coûté ta disparition – j’étais prêt à payer beaucoup plus pour te sauver – mais ce que j’ai du mal à leur pardonner, c’est le supplice qu’ils nous ont infligé à tous les deux. Tu reposes aujourd'hui dans notre jardin parmi les plantes bercé par le chant  des oiseaux béliers qui font leurs nids, juste au-dessus de toi. 

Adieu mon petit « Royal Bourbon » ! Adieu Rocky ! Je te devais bien ces quelques lignes.