La Fournaise

NOCES  D’OR

Cinquante ans déjà que nous nous sommes mariés, Yvette et moi. Notre histoire a commencé en 1960 à Villerupt, dans la petite cité de Cantebonne, en Lorraine. Nous étions le 23 avril, un samedi pour être plus précis. Je fêtais ce soir là mon anniversaire avec vingt quatre heures d’avance. Florent et Arlette avaient organisé une petite réception pour la circonstance. Dans leur appartement, situé rue des Lilas, il y avait, autour d’un bon repas, Saül, Jean et Guy, originaires de La Réunion comme moi. Les « Trois Mousquetaires » exerçaient leurs fonctions de douaniers, à Audun le Tiche, bureau de route situé en Moselle, sur la frontière franco-luxembourgeoise. Florent et Arlette s’étaient liés d’amitié avec mes trois camarades. A cette époque, il était préférable, pour les frontaliers, d’entretenir de bonnes relations avec les douaniers. Quant à moi, je « sévissais » dans une brigade de plaine située à Saulnes, petite commune de Meurthe et Moselle.

Ce 23 avril, Florent et Arlette avaient invité Lucienne et Yvette, deux jeunes voisines, pour nous tenir compagnie. Les deux jeunes filles ne pouvaient imaginer, ce soir là, que leur futur mari se trouvait parmi les convives installés autour de la table. Guy et moi étions  célibataires mais aucun de nous deux n’envisageait de se marier. La soirée s’était achevée dans la bonne humeur et nous nous étions promis, Yvette et moi, de nous revoir le lendemain. Cette jeune fille toute simple, qui ne demandait pas grand chose à la vie, avait déjà conquis le cœur du jeune Réunionnais coupé beaucoup trop tôt de ses racines.

Comme convenu, nous nous sommes revus le dimanche après-midi, avec la complicité de Florent et Arlette. La main dans la main, nous avons arpenté les rues de Cantebonne comme deux adolescents timides. Je ne me souviens plus de ce que nous nous sommes dit ce jour là. Sans doute ai-je parlé, avec émotion, de ce pays que j’avais quitté six mois plus tôt. Peut-être même, avais-je déjà promis à Yvette de l’emmener un jour dans cette île de La Réunion qui la faisait rêver. Dans ses grands yeux bleus, se lisait l’émerveillement d’une petite fille qui n’avait jamais franchi les limites de sa région. Cette jeune fille qui n’avait pour parure que son sourire, je la voulais pour moi tout seul et me suis promis de tout faire pour la garder auprès de moi.

Yvette vivait à Cantebonne chez une cousine et tenait la maison, pendant que le couple allait au travail. Je passais, maintenant, une grande partie de mes loisirs, dans cette famille qui ne comptait pas moins de quatre garçons en bas âge. Sans plus tarder, j’avais entrepris les démarches qui allaient nous conduire devant monsieur le Maire et devant monsieur le Curé. Mes parents n’ont soulevé aucune objection lorsque je leur ai fait part de ma décision. C’est d’ailleurs grâce à leur aide que nous avons pu acheter les alliances et nous procurer ce que beaucoup de gens appellent encore à La Réunion « un commencement de ménage ». Sur le marché de Longwy, un bonimenteur avait même réussi à nous vendre un service de table qui n’a jamais servi ou presque.

Le 27 août 1960, soit quatre mois, après notre première rencontre, Yvette et moi, étions passés de la mairie à l’église du petit village de Morfontaine où elle avait passé une grande partie de son enfance. Il devait être cinq heures du soir, lorsque les correspondants de l’Est Républicain et du Républicain Lorrain nous ont pris en photo, sur le parvis de l’église. A nos côtés, se tenait la famille d’Yvette, au grand complet. Mes compatriotes, Saül, Jean et Guy étaient venus, pour la circonstance, depuis Audun-le-Tiche. Quant à Florent et Arlette, les artisans de notre bonheur, ils jubilaient, pas peu fiers d’avoir réussi leur coup dans le bon sens du terme.

Il n’y a pas eu de grande fête, à cette occasion. Tout juste, avons-nous grignoté quelques gâteaux apéritifs et trinqué avec un petit verre de rhum qui ne provenait même pas de La Réunion. Est-il nécessaire de préciser que nous étions tous plus ou moins fauchés, même si, à cette époque, on ne parlait pas de crise ? En fin de soirée, nous avions déjà rejoint, Yvette et moi, la modeste pièce qui allait nous tenir lieu de logement pendant les quatre premiers mois de notre mariage.

Cinquante ans plus tard, je ne regrette toujours pas d’avoir joué mon bonheur à quitte ou double. Comme je le dis souvent, ces cinquante années de vie commune n’ont pas été « un long fleuve tranquille » et notre couple a du traverser des zones de turbulence avant d’arriver à cette soirée qui a réuni dans un restaurant des environs de Saint-Paul, de nombreux parents et amis. C’est aujourd’hui l’occasion, pour Yvette et moi, de remercier, avec quelques semaines de retard, tous ceux qui ont contribué, ne serait-ce que par leur présence, à la réussite de cette soirée anniversaire. Il y avait, à cette soirée, un peu plus de quelques gâteaux apéritifs et de petits verres de rhum. Ce n’est pas que nous avons réussi à nous enrichir au cours de ces cinquante dernières années mais c’est, bien plus, grâce à la générosité de nos proches.

Dans le courant de l’après-midi, et sous la pluie, Madame Huguette Bello, notre Députée-maire, est venue, personnellement, nous remettre le cadeau offert par le CCAS que préside la Députée-Maire. Il s’agit d’un petit livre qui retrace nos cinquante années de mariage. Pour sa part, Yvette a eu droit à un magnifique bouquet qui a trôné pendant plusieurs jours, sur la table du séjour. Cette visite nous a beaucoup touchés et, pourquoi ne pas le dire, beaucoup émus.

Pour immortaliser l’événement, mon ami Nicol et mon frère Jean ont réussi, au prix d’un long et minutieux travail, le montage de deux petits films qui permettront à tous ceux, éloignés ou proches, qui n’ont pas pu nous accompagner ce vendredi 27 août 2010, de vivre, à leur manière, ces moments de joie et d’émotion. Je reste persuadé que dans cinquante ans, nous nous retrouverons tous, Dieu seul sait où, pour fêter l’anniversaire de cet anniversaire…